Les 12 et 13 mars 2019 se tenait le colloque L’Intégrité Scientifique à l’Aune du Droit à Paris (https://univ-droit.fr/actualites-de-la-recherche/manifestations/30711-l-integrite-scientifique-a-l-aune-du-droit). Les intervenant.e.s étant issu.e.s de disciplines diverses, ce colloque visait à intégrer l’intégrité scientifique dans un contexte sociétal global. J’en fais ici un résumé personnel.
Du droit la concernant à son épistémologie en passant par ses aspects normatifs, l’intégrité scientifique fait aujourd’hui énormément parler d’elle. Mais qu’est-ce que l’intégrité scientifique ? Difficile de répondre à cette question, mais des pistes de réflexion peuvent résider dans le fait qu’il en existe des manquements. On pourrait donc manquer d’intégrité scientifique. Les exemples sont multiples puisqu’on les retrouve par exemple dans le plagiat, dans la publication de résultats arrangés ou encore dans l’attribution de publications à des personnes n’ayant pas donné leur accord de publication. Si le manque d’intégrité scientifique peut-être perçu comme un acte isolé et délibéré, le fonctionnement de la recherche scientifique peut également porter en lui des manquements à l’intégrité. Ainsi le processus de publication (peer review) aurait-il induit une sélection majoritaire d’articles contenant des résultats dits « positifs », c’est-à-dire rendant compte de différence(s) statistiquement « significative(s) » entre plusieurs groupes expérimentaux et suggérant par la même que les articles en question « apportent quelque chose » à la littérature scientifique (les biais de publication). En accord avec cela, des alternatives ont été proposées, permettant entre-autres d’assurer la publication d’un article sur la base d’un pré-enregistrement d’étude et non sur le produit fini (« Registered reports ») ou même d’éviter et/ou de compléter le fait de passer par des journaux scientifiques pour rendre public un travail de recherche (voir https://www.biorxiv.org/ pour la mise en ligne de preprints, https://peercommunityin.org/ et https://nbdt.scholasticahq.com/ pour des systèmes l’évaluation par les pair.e.s de preprints et https://pubpeer.com/ pour la possibilité de commenter des articles en ligne, peer-reviewed ou non). Autrement dit, les innovations permettant de tenter de pallier les problèmes d’intégrité scientifique ne manquent pas. Quel est donc le problème ? Il en existe en fait plusieurs et je n’ai ni l’intention ni les capacités d’en faire une liste exhaustive. Cependant, un problème fondamental réside selon moi dans l’idée même de « Droit de l’intégrité scientifique » puisqu’elle implique aujourd’hui une régulation individuelle de l’intégrité scientifique, c’est-à-dire qu’il est possible de sanctionner une personne ayant manqué d’intégrité scientifique. En relation avec le principe général de fonctionnement de la recherche scientifique (démarche expérimentale, processus de publication, recherche de financements, etc), sanctionner des individus est un moyen de réguler ces manquements. Toutefois, cette démarche risque d’être inefficace si elle n’est pas associée à un questionnement sur la source du problème, à savoir quels sont les éléments incitant le/la chercheur.se à la méconduite. La boucle liant accès à des financements, prestige et publication apparaît aujourd’hui comme une évidence aux yeux d’un grand nombre d’entre nous : il est difficile d’obtenir des financements, il est difficile de publier, et plus on publie, moins il est difficile d’obtenir des financements puisqu’ils sont (souvent ?) attribués en fonction de l’excellence du/de la chercheur.se, donc du nombre et de la qualité de ses publications, en faisant la demande. Cette relation est potentiellement infinie et le fonctionnement actuel de l’évaluation scientifique est un des moteurs de l’inconduite scientifique.
Compte-tenu des divergences de points de vues que j’ai retenues à l’issue du colloque, je ne peux me permettre d’accuser exclusivement un fonctionnement général, et ne saurais me réfugier derrière l’idée selon laquelle la prise en compte individuelle de l’intégrité scientifique ne se fera qu’à travers une modification complète de nos activités de recherche. Les changements s’opèrent lentement, c’est la science elle-même qui nous permet de nous diriger petit à petit vers la science demain, car l’intégrité scientifique ne peut s’affranchir de l’état de connaissance du réel. Je termine donc sur une note positive en suggérant que le changement est perpétuel et que les discussions de plus en plus prenantes et abondantes au sujet de l’intégrité scientifique sont autant de pierres à l’édifice d’une science rigoureuse. J’invite les personnes qui auront eu le courage et le temps de me lire jusque ces dernières lignes à prendre connaissance du très inspirant principe de désexcellence proposé par Olivier Gosselain (http://lac.ulb.ac.be/LAC/charte.html), qui résume les problématiques et « solutions » relatives à l’intégrité scientifique bien mieux que je ne l’ai fait ici.
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